LA LUTTE CONTRE LES MAFIAS AVEC GIULIA – ROME

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PEUX-TU TE PRÉSENTER ?

Je m’appelle Giulia, je suis membre de la section internationale de Libera. Je travaille ici depuis 2012 après un stage de 3 mois pendant mes études en Relations Internationales. J’étais également bénévole à Libera dans ma région, à Portogruaro [près de Venise]. À la suite du stage, l’équipe m’a proposé de travailler sur l’organisation des universités d’été E!state Liberi. Je coordonne aujourd’hui la section internationale tout en terminant mon master.

 

QU’EST-CE QUE LIBERA ?

Libera est un vaste réseau de plus de 1600 organisations. Nous travaillons ensemble sur toutes formes de prévention contre le crime organisé et la corruption. Le réseau a été créé en 1995 par des acteurs sociaux et le prêtre Monseigneur Luigi Ciotti. Il est également président de Gruppo Abele, une grande organisation à Turin travaillant avec les victimes du trafic de drogue ou de la traite humaine. Libera, c’est 50 employés, 278 groupes locaux en Italie avec 10 volontaires minimum dans chaque groupe.

 

QU’ENTENDS-TU PAR « MAFIA » ?

Notre nom complet est Libera, Associations, Noms et Chiffres contre les mafias. La mafia n’est pas uniquement le crime organisé dont les méthodes sont très violentes. Nous parlons également des multinationales liées à la sphère politique et exploitant des travailleurs illégaux dans d’autres pays. Nous parlons ici d’un système, pas juste de groupes criminels. Ces acteurs sont présents dans chaque pan de la société : l’économie tant nationale qu’internationale, la société civile, le monde politique, etc. C’est pourquoi nous avons créé un réseau d’organisations traitant de sujets très variés : droits de l’homme, développement local, anti-corruption, etc.

 

LA POPULATION ITALIENNE EST-ELLE INQUIÈTE PAR LA MAFIA ?

Je sens une grande différence entre ma mère et moi. Elle vit dans le Nord de l’Italie et ne se pas concernée par ce problème. C’est pourtant une idée fausse de croire que seule l’Italie du Sud soit gangrénée par les mafias. Nous travaillons de plus en plus avec des communautés locales au Nord. Et davantage de jeunes s’engagent à Libera par rapport aux années 1990. Les nouvelles générations se sentent touchées, c’est un grand changement !

 

COMMENT EXPLIQUES-TU CE CHANGEMENT ?

Je pense que les gens ordinaires en ont assez d’être victime d’injustices et de se sentir délaissés par les gouvernements. C’est pour cela qu’ils se rassemblent et développent des projets sociaux. Il n’y a rien d’héroïque ils veulent faire partie du changement et tout faire pour devenir de meilleurs citoyens.

 

QUELLES SONT VOS ACTIONS SUR LE TERRAIN POUR LUTTER CONTRE L’INJUSTICE SOCIALE ?

La majorité de notre travail concerne l’éducation des populations à travers la culture, la prévention et la mémoire. Nous collectons les récits de victimes et nous construisons des cours en partenariat avec des écoles et des universités. Les victimes et leurs familles sont les acteurs du changement, pas uniquement comme des témoignages. Ils alertent les citoyens sur les ravages des mafias sur nos vies et notre société.

Nous travaillons également avec d’autres réseaux internationaux. Nous échangeons sur les bonnes pratiques, nos résultats ou encore sur les manières d’augmenter l’impact de nos actions. Transférer notre organisation ailleurs ne marche pas, nous préférons coopérer avec des structures locales au fait des réalités. Nous avons par exemple fondé ALAS – América Latina Alternativa Socialun réseau de 50 organisations basées dans 11 pays d’Amérique Latine. Nous essayons également de créer un réseau européen d’ONG et d’acteurs locaux indépendants. Libera France a été créé par des bénévoles italiens voulant développer notre combat. Nous voulons changer le nom pour permettre au groupe local d’être davantage autonome. Il sera plus facile pour eux de rencontrer les communautés locales avec un nom qui leur sont propre.

Et enfin, l’emploi social des biens confisqués. En 1996, nous avons récolté près d’1 million de signatures pour demander au gouvernement italien une loi sur l’utilisation à but social des biens confisqués à la mafia. Nous avions déjà une loi spécifique en Italie alors que les autres pays européens ne mentionnent même pas le crime des groupes organisés dans leur législation. Nous proposions de mobiliser ces actifs confisqués au profit de projets sociaux ou publics. Pour te donner un exemple, les locaux de Libera font partie de ces biens confisqués car cet immeuble était auparavant une maison close. Je pense que cette loi est une bonne manière d’aider les initiatives sociales.

 

EN QUOI L’ACTION DE LIBERA TE PARAÎT-ELLE INNOVANTE ?

Parce que nous ne nous intéressons pas à comment les gouvernements et les institutions peuvent changer les choses mais plutôt à comment NOUS pouvons incarner ce changement. Et nous ne voulons pas le faire seul, nous voulons mobiliser le maximum de personnes et de forces pour réaliser ce projet. Les mafias sont devenues des réseaux criminels globaux, nous devons raisonner comme cela. Ils sont plus intelligents que nous, ils ont inventé le concept de réseau bien avant tout le monde !

« Nous devons leur montrer que nous n’avons pas peur. »

 

LES MEMBRES DE LIBERA, EMPLOYÉS ET BÉNÉVOLES, PEUVENT-ILS ÊTRE INQUIÉTÉS PAR DES REPRÉSAILLES ?

Les tentatives d’intimidation arrivent oui. L’action la plus fréquente est de brûler une voiture ou un champs. Cet été 2017 en Calabre [Sud de l’Italie], la mafia mis le feu aux terres de Terre Joniche, une coopérative que nous aidons. Le lendemain, des volontaires issus de l’ensemble du réseau sont venus les aider à nettoyer le lieu. Un autre exemple : il y a 2 ans en Campanie [Italie du Sud], une coopérative de vêtements s’installa dans des locaux confisqués. La veille de l’ouverture, des hommes tirèrent des coups de fusil dans la porte et les fenêtres. L’équipe décida pourtant de maintenir l’ouverture et, le jour suivant, ils accueillirent 2 fois plus de personnes que prévu ! Nous devons leur montrer que nous n’avons pas peur.

 

LIBERA EST UN VASTE RÉSEAU D’ACTEURS VENANT D’HORIZONS DIFFÉRENTS. COMMENT COORDONNEZ-VOUS VOS ACTIONS ET COOPÉREZ ENTRE AUTANT DE STRUCTURES ?

Je pense que notre plus grande force sont les acteurs du réseau. Mais c’est également notre faiblesse. Faire partie d’un réseau, c’est partager et accepter les nouvelles idées. Tu dois accepter de ne pas tout contrôler car tu n’es qu’une pièce du puzzle. Ce n’est pas toujours facile, nous devons systématiquement adapter notre management et être bienveillant. Notre grand défi est de construire un projet commun. C’est un travail de longue haleine, mais si excitant !

« Notre grand défi est de construire un projet commun. C’est un travail de longue haleine, mais si excitant ! »

 

QUEL A ÉTÉ L’ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR QUI T’A DONNÉ ENVIE D’AGIR ?

Il n’y a pas eu de moment précis. J’ai entendu parlé de Libera lorsque j’étais bénévole à l’Action Catholique. Un ami m’a proposé de le rejoindre et j’ai accepté. Je voulais aider les autres et changer le monde !

Mes rencontres à Libera ont aussi été déterminantes. J’aime leurs idées, leurs manières de penser. J’apprends beaucoup à leurs côtés.

 

OÙ TROUVES-TU TA MOTIVATION ?

À Libera, nous travaillons toujours ensemble. C’est très important pour moi en tant que personne car je n’aime pas réfléchir seule, j’ai besoin d’interagir avec les autres.

J’aime aussi voyager. Pas comme une simple touriste mais bien me plonger dans la vie quotidienne du pays. Ici j’ai souvent l’occasion de voyager, c’est une chance incroyable !

J’ai un problème avec la ligne éditoriale des médias qui ne parlent que des mauvaises nouvelles. Je rencontre tous les jours des gens qui se battent pour changer les choses. C’est une grande source d’espoir et de motivation pour moi car notre travail n’est pas toujours facile. C’est un projet très complexe, et pas vraiment la carrière dont rêve ta mère ! Nous voyons de terribles choses, mais la solidarité qui règne entre nous me donne confiance pour le futur !

 

QU’EST-CE QUI T’INSPIRE DANS LA VIE ?

Si tu fais quelque chose de bien pour quelqu’un, il fera de même pour toi et pour une autre personne. J’aime cette idée de « bonheur contagieux » !

« Nous voyons de terribles choses, mais la solidarité qui règne entre nous me donne confiance pour le futur ! »

 

crédit photo : Libera

Un commentaire

  1. Christine Tichadou Bourcheix

    Qu’il en faut du courage et de la détermination pour s’attaquer à ces réseaux bien établis et sans scrupules. Et l’on voit que l’action de groupe est importante pour s’attaquer à de telles forces.
    Giulia le dit bien: la solidarité aide à croire et à continuer à agir: « Nous voyons de terribles choses, mais la solidarité qui règne entre nous me donne confiance pour le futur ! »
    Bravo à Giulia et à toutes ces personnes qui s’engagent dans de telles luttes!

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